(Cette question est suggérée par un désaccord qui m'a coûté deux points, sur l'orthographe de distinguable - ma position étant que c'est un barbarisme inutile et que la question ne se posait donc pas, puisque le français a déjà "distinct" et "distinctif")
Dire que tel terme ou phrase est correct, ou non, suppose que l'on ait des critères. Pourriez-vous donc expliciter les vôtres ?
Je soumets les miens, compendieusement, à votre sagacité.
1- Tous les niveaux de langage sont admissibles, dans le contexte adéquat, de l'argot gouailleur de San Antonio à la maîtrise parfaite et la précision de pensée de Bossuet. Et pourquoi pas des innovations à la Queneau ou celle du "nouveau roman" ; le temps est le meilleur critique de ce qui mérite de subsister.
2- Je déteste les fautes dues à l'ignorance, comme "par ailleurs" (= par une autre voie, et non "de plus"), "alternative" (= choix entre deux, et deux seulement, possibilités), "par contre" (terme commercial signifiant : en compensation, ou abréviation de "par contre-envoi" - on dit maintenant par retour de courrier-, et non "en revanche"), "antan" (= de l'année dernière et non "jadis"), etc.. Le nombre de voix des ignorants et des paresseux ne doit pas apprécié à la majorité démocratique ou plutôt médiocratique. Il y a déjà bien des dégâts irréparables, comme le pléonastique "aujourd'hui" ou le monstrueux "qu'est-ce que c'est que ...".
3- Et tout autant l'inertie de l'Académie (ils sont quarante qui ont de l'esprit comme quatre, disait Piron - et dont beaucoup n'ont ni formation universitaire, ni ouvrages significatifs à leur crédit), qui met un quart de siècle avant de terminer une nouvelle version de son dictionnaire, et ne respecte même pas ses propres critères (orthographe selon l'étymologie, prononciation selon l'usage : "bonhomie" et "gageure", alors ?). Prononciation de quel lieu, d'ailleurs ? La langue française n'appartient plus qu'à la seule France métropolitaine.
Ni les puristes, qui décrètent que "second" ne peut s'employer en énumérant plus de deux choses, qu'il faut dire "deuxième", ou que "à cause que" n'est pas français - tiens, mais pourquoi donc ? Lire ce qu'écrivait par exemple Vaugelas est risible, et heureusement les classiques ne l'ont pas écouté, sauf un peu Corneille, pour plaire à Richelieu.
4- Enfin, je n'aime guère les dictionnaires commerciaux, rédigés par des auteurs qui n'ont peut-être pas tous les qualifications requises et sont bien en peine d'expliquer pourquoi ils admettent ou suppriment un mot ; en fait, ils suivent l'usage, le but est de publier à chaque fin d'année un nouvel exemplaire daté de l'année suivante, que les naïfs vont s'arracher. Même les prix littéraires sont attribués en fonction des rivalités des éditeurs.
5- Qu'il y a-t-il de positif donc ?
Je crois que le bon français est formé par les bons auteurs, qui en comprennent l'essence, sont suffisamment cultivés pour ne pas aller contre l'esprit ni l'étymologie, ni non plus commettre de fautes, et assez imaginatifs pour avoir des hardiesses. L'exemple extrême est celui des œuvres attribuées à Shakespeare, où le tiers du vocabulaire a été forgé, beaucoup de nouvelles tournures y ont fait leur apparition, et beaucoup de tout cela a survécu jusqu'à nos jours.
Et qu'il faut se fier à eux, et à eux seuls.
Mon rêve fou ? Que de nouveaux grands auteurs apparaissent, qui maîtrisent parfaitement le français classique, mais assez larges d'esprit pour admettre dans leurs écrits des termes et des tournures qui ne soient pas seulement métropolitains, ressuscitent des mots oubliés (quel besoin de "badge" quand le français avait "affiquet" ?), et en inventent de nouveaux qui font défaut. Il est surprenant que, généralement pour "faire tendance", on doive emprunter à l'anglais (j'adore les deux langues, mais pas le Frenglish), dont les deux tiers du vocabulaire viennent du français, mais qui a su, lui, conserver des milliers de mots qui disparaissaient de celui-ci, et maintenant font défaut. Pourquoi ne pas récupérer le butin ?
Opinions très personnelles et tranchées, voire acerbes ; merci de vos réactions.